La Maison des Fous - Episode Premier
La Maison des Fous
(petites histoires de dingueries blanches sans blouse ni col)
Épisode Premier:
Par un matin de saison sombre, le pécule de subsistance réduit à la portion moins-que-congrue, je me vis requérir une ressource par formulaire dématérialisé auprès d’une gente Dame au court patronyme. Recalée au premier guichet, pour cause de débordement de chapeau dans un proche passé, je me présentai avec ma claire-voix pour l’obtention de quelques mots magiques, sésame de transmission de ma dérogatoire missive. Vingt trois longs jours de silence de ladite gente Dame n’eurent pas raison de ma patience; ma claire-voix s’en alla quêter, passée la Nativité, quelque réponse. Nulle trace de ma missive à ce guichet, la formule magique de la destinataire erronée, tronquée d’un minuscule signe. Diantre. Nous nous dirigeâmes alors, ma missive et moi, vers le guichet tant convoité, par un méandre non moins officiel que précédemment.
L’aube de l’An Nouveau assombrie par le coup de marteau donné au guichet, je me vis notifier, non sans quelque empathie, la cause de la sentence: la mesure dérogatoire n’est pas appliquée lorsque l’on perçoit le pécule du Seigneur d’un autre bastion, fusse-t’il réduit à deux sous quotidiens. Patience et résignation furent invitées en mon sein, pour l’audience ultérieure au guichet de la révision, quatre-vingt-dix jours plus tard.
Dans cette Maison à la tour bien gardée, Ubu semble le maître, flanqué de sa perfide Dédale.
Le pont-levis hissé n’entrava point la perception de ma sœur Anne, qui du haut de sa guérite était fine stratège et conseillère avisée. Je pris alors ma plus belle plume pour solliciter la grâce du Grand Chef de Clan de ma contrée. Il me fallut observer quarantaine prolongée pour réceptionner l’écrit scellé, qui contenait un refus certes argumenté par une législation implacable de rigidité, mais sans surprise, tant l’espoir d’une affirmative, d’une négative comme d’une neutre, m’avait quittée depuis fort longtemps.
Trente jours et trente nuits suivant ma quête de grâce, je me prêtai à la fatidique déclaration de mes maigres ressources au guichet. La gente Dame fût prompte à la révision, et m’octroya pour les quatre-vingt-dix jours à venir, la proportion la plus conséquente de la subsistance minimale officielle. Dix sous journaliers cumulés de deux mécènes ont la valeur d’une dignité, telles les pièces fondatrices d’un puzzle.
Hélas, je me vois à cette heure contrainte de prendre congé de vous, cher auditoire, vous laissant vaquer à vos occupations. Je vais de ce pas prendre quelque repos pour vous revenir fraîche et dispose, l’esprit clair et le verbe divertissant.
Un beau jour, ou peut-être une nuit, je m’en irai vous conter l’étape prochaine de ma croisade au pays de l’obole.
Votre obligée,
L.P.
